Le 20 octobre 2000


Madame Novella nous présente sa conférence, intitulée :

Le roman policier.

Merci, président, de me recevoir aujourd’hui au club de Suresnes Puteaux.

Je ne veux pas vous faire une conférence, parce que je ne suis pas une conférencière, mais je suis journaliste de profession.

Je tiens particulièrement à cette qualification, car je l’ai payée très cher, dans un monde masculin. Je tiens néanmoins à rendre hommage à des consœurs qui ont su aller jusqu a la limite extrême de leur profession. Pour trois minutes d’images sur un écran de télévision et de 2
minutes de commentaire, 5 sont mortes au Vietnam. Une durant la guerre des 6 jours, une autre en Mauritanie. Je vous demande de faire la différence entre ces journalistes de l’ombre et le présentateur du journal télévisé.

Salut les mecs, merci d’être venu avec vos gonzesses, je vais jacter sur le polar pendant 35 broquilles…

Vous pouvez vous poser la question, pourquoi cette entrée en matière en argot, qui n’est nullement vulgaire.

Eh bien, c’est que l’argot chez Simenon et chez bien d’autres, n’apporte rien au roman policier. Simenon ne l’a jamais utilisé L'argot est né au 13 eme siècle, et François Villon l’employait déjà a l’époque. C’était un langage cryptique et corporatif. Il y avait l’argot des vignerons,
des soyeux. Chaque profession avait donc son argot. Ce langage leur permettait de converser et de négocier, sans être compris. L’argot n’apporte rien, comme je vous l’ai dit, au roman policier. On tue chez les bourgeois, on tue dans le clergé, et quant aux meurtres de la politique,
ils sont légions. Et dans ces milieux là, on ne parle pas l’argot. Donc voyez l’inutilité de l’argot. Je ne parle pas, enfin de celui que l’on appele argot accroché à la mafia, qui est un langage très particulier, Sicilien, Corse, Sarde ou des pays de l’Est.

Le roman policier bien écrit, sans débordement de sexe, d’hémoglobine, de fric, est une œuvre littéraire, au même titre que les romans de Montaigne, Victor Hugo, et Gide que je considère comme un des meilleurs auteurs du siècle. Je parle de l’écrivain, pas de l’homme. 

Lire un roman policier est un plaisir. Il ne faut pas avoir peur de dire, je lis des romans policiers. Pour ce qui me concerne, j'ai connu de grands auteurs de roman policier et le meilleur pour moi à part Simenon est José Giovani. J’ai donc partagé cette causerie en trois parties.

Pourquoi l'on écrit ?

Comment j’ai connu Simenon ?

Comment l’on écrit un polar ?

Pourquoi l'on écrit ?

Des le jeune âge, à l'école la maîtresse demande à ces chères petites têtes blondes de raconter leurs dimanches chez papi-mamie, avec le chat, le chien. Ils font ce que l'on appelle une rédaction. Dans la classe 2 ou 3 vont sortir du lot. La maîtresse va les féliciter, leur donner un
bonbon, une image. L'enfant lui n'a pas enregistré la récompense, il a enregistré les propos de la maîtresse. En arrivant à la maison, il va le dire à maman. Maman va le dire à la boulangère, qui va la féliciter, et le répéter au boucher. Cela va faire le tour du village. Il est déjà un
petit héros. Et pourquoi ? C'est parce qu’il a su écrire. Durant toute sa vie de collégien et d'étudiant il pourra avec le professeur se perfectionner et bien écrire.

Et il mettra ce don au profit de la littérature, de la publicité, ou des services économiques des grosses sociétés.

Il faut savoir qu’à la naissance un gène dans l’ADN fait que nous soyons doués pour l'écriture

Pour bien écrire, principalement chez les journalistes et les auteurs, il faut savoir écouter pour raconter.

On écrit tous les non-dits, comme le peintre vomit sa peinture. Ecrire est un défoulement Freudien, c'est un plaisir.

On demande souvent aux auteurs de polar, avez-vous connu des assassins ? Moi j'en ai connu plusieurs, car dans ma profession j’ai assisté souvent à des interrogatoires.

Le roman policier se doit d’être roman d'analyse, car un roman d’analyse porte en lui les germes du roman policier. !!!

L’étude et l’analyse des passions mènent au crime. 

On me demande aussi, mais où allez-vous chercher tout cela ? Moi je ne cherche rien, je trouve !

Comment j’ai connu Georges Simenon ?

Ma mère est morte lorsque j’avais six ans, mon père me place à la " légion d’honneur " ou j’ai passé 12 ans. Et je n’ai eu aucun mérite, je dois l’avouer, d’arriver jusqu’au concours des grandes écoles. Je suis titulaire du diplôme IEP pour préparer les grandes écoles. J’en ai
préparé 2, j’ai été reçu à l’une et admissible a l’autre. J’y suis passé comme un méteor je suis rentré un 15 novembre pour en ressortir le 31 décembre. Cela à été le premier échec que j’ai éprouvé. Ensuite j’ai, été engagé pour un contrat de dix mois aux savonneries Marseillaise.
J’ai fait tous les pays du bassin méditerranéen pour préparer le développement des savonnettes. Cela fait rire, mais c’est vrai. Je suis revenu à Paris, j’ai fais un compte rendu d’une cinquantaine de pages pour le présenter devant ces messieurs de la direction, habillés en noir, très
sérieux. Ils ont dit que j’avais très mal travaillé, et que je n’avais qu’a passer à la caisse. C’était la première gifle dans le domaine professionnel. Mais en sortant de cette société, il y avait en face un café qui s’appelait " la belle férroniere ". Je rentre dans ce café, avec mon chèque
en poche. Il y avait 3 messieurs, a cette époque j’étais jeune et jolie. Il y en a un qui s’approche, et qui me dit : vous cherchez du travail ? Il me donne sa carte, en me disant, venez demain et ne soyez pas en retard. C’était Gaston Bonheur, rédacteur en chef adjoint de Paris
Match. Il m’engage, au service économique, pour faire ce que l’on appel les chats écrases. Lors d’une soirée chez Jean Paul Sartre, je rencontre Antoine Blondin, qui me dit, j’ai un ami qui cherche un nègre pour écrire des romans policiers. Il me donne rendez vous a la rhumerie
ou je rencontre un monsieur qui n’avait rien de particulier, et qui me donne dix livres à lire, pour faire un compte rendu de lecture. Je lui dis : et pour quand ? Il me répond pour hier mademoiselle. Je n’ai pas apprécié et je lui ai dit : vous avez une façon de parler qui est un peu
inélégante. Il me répondit : je suis George Simenon, si cela ne vous convient pas : au revoir et merci. Je suis rentré chez moi, j’ai lu les livres, et j ‘ai trouvé le fil conducteur, qui était la lenteur à préparer le crime, ai trouvé l’assassin, tout était noir, tout était triste. George Simenon
qui avait un appartement au Lutécia, me téléphone. J’y vais et lui explique ce que j’avais trouvé. Il me dit : je trouve que votre analyse est très bonne. Je suis George Simenon et vous allez pouvoir écrire pour moi. Et c’est comme ça que j’ai commencé à écrire pour Simenon. Je
dois vous dire qu’il est beaucoup plus difficile d’être un nègre qu’un auteur direct. Ecrire un polar est enrichissant quoi que vous puissiez y penser. J’étais monter sur le bateau Simenon, c’était fini, je ne pouvais plus en descendre.

Pour être un nègre, il faut digérer le synopsis, qui est la trame du roman qui correspond à dix douze pages, qu’il faut sortir à 120-150 pages. Alors je devais évidemment, à chaque fois, l’écouter, lui poser des questions, le faire parler. Mais il m'a dit tout de suite : lorsque vous allez
commencer à écrire, il faut que vous soyez le meurtrier.

On se rend compte à la lecture de Simenon, que tout est méticuleux, le voile se déroule peu à peu sur l’intrigue. Et quel que soit le milieu social, tout est longuement réfléchi. Il avait toujours fait plonger le lecteur dans des intrigues, dont seul il avait le secret. Malheureusement les
metteurs en scène qui ont traité les livres de Simenon, n’ont jamais réussi à garder le rythme.

Le meilleur roman noir de Simenon qui n’est pas un Maigret est : " le chat ". Je n’ai pas écrit " le chat ". Il écrit le premier Maigret en 1932. Ce roman lui est demandé par Fayard, à condition qu’il crée un personnage de flic sympathique qui puisse faire de l’ombre aux
personnages de Rouletabille, Arsène Lupin et Fantômas. 

Pour Simenon, Maigret, c’est son père. Il est un peu secret, ce n’est pas un intellectuel, ni un cérébrale, c’est un intuitif. Comme une éponge, il s’imbibe de tout pour comprendre le meurtre.

Il a écrit 794 romans. Il est le 18 eme auteur le plus traduit dans le monde.

Simenon est né le 1er avril 1903 à Liège. Il fut reporter, juge, journaliste. Il a été très influencé par une mère très dominatrice.

Il a eut 4 périodes dans sa vie :

Sa mère, très autoritaire. 
Sa première épouse. 
Denise l’alcoolique, qui lui a donné 3 enfants 
Teresa qui lui a fermé les yeux. 

Il a donc connu le désarroi, l’amitié, la passion, et la tendresse.

Sa fille Marie Jo s’est suicidé en 71, elle avait 18 ans. Elle n’a pas supporté que sa mère abuse d’elle. Quand il écrira la disparition d’Odile, c’est de ce fait cruel qu’il fera un roman.

Il était seul dans la vie, et il allait chercher ailleurs ce qu’il n’avait pas dans la vie. On a dit que c’était un coureur de femmes.

Il me dit un jour : petite si vous étiez un homme, je vous amènerais au " One Too Too. ". Auprès de ces filles, il pouvait parler sans contrainte, et sans honte. C’était un homme de paradoxe et d’excès. Ses différentes maisons le prouvent, et son parc de voitures aussi. Sa maison a
Mougins était extravagante, quant a celle de Suisse, c’était ahurissante. Sur le portail, les lettres G. S. sont en or, cela fait plusieurs fois qu’on les vole, mais il les remettra à chaque fois. La maison était entièrement blanche, de la moquette au plafond. Car il a dit un jour que sur le
blanc, on voit bien les microbes. Dans le salon il y avait une immense cheminé blanche, sur laquelle, il y avait un cœur en matire plastique, blanc, traversé par un couteau blanc, avec une goutte de sang rouge. Et ce cœur palpitait. Il me dit : vous voyez, c’est cela, le crime.

Un jour je lui demande, pourquoi vous habitez en Suisse ? Il me dit : petite, j’habite en Suisse, parce que la Suisse c’est nul part. Et l’on a beaucoup ri… Il trouvait que c’était une farce extraordinaire.

Il est rentré des USA en 1954, car il les détestait. Parce que les femmes s’habillent mal, elles ne savent pas déguster les produits, et les enfants bouffent des ice cream toute la journée. Il n’a pas supporté cela !

Il avait, pour diriger ses affaires, sa maîtresse " Dora ", qui avait un caractère de fox a poil dur. Et puis " Boule ", qui était le personnage le plus important dans la vie de Simenon. C’était le pivot de ses affaires. Il faut signaler, qu’il a eu des procès, avec toutes les maisons
d’éditions.

Je vais vous parler de ce que j’ai écrit pour Simenon :

En 1954 c’est " l'horloger d'Everton "

Simenon déteste les Américains. Dans ce roman on va le sentir. Il associe le rouage du cerveau de son héros à celui de la mécanique d’une horloge. C’est un roman très noir, tout y est lent.

Le deuxième roman est : " En cas de malheur. "

Cela a été extraordinaire, car il ma remit un synopsis d’une vingtaine de pages. En me donnant le nom des lieux, le prénom des personnages, la topographie. Il me dit, ne vous posez pas de question, écrivez. Il me dira plus tard, qu’il avait vendu l’histoire prématurément a Autan
Lara. C’est un film avec Gabin et Bardot. Quand le film est sorti, j’ai été très déçue.

En 1957 il me demande de venir au Lutecia, et il me remet un synopsis et un roman, qu’il trouve mal écrit. Il me dit : vous lisez le synopsis, puis vous rectifiez le roman. J’ai fait le contraire, et je suis restée prisonnière de ce qu’avait écrit celui qui avait fait ce travail avant moi.
J’ai apporté quelque correction, mais je n’ai pas pu sortir de l’ambiance de ce roman. C’était " Le président ". Quand je lui ai remis le roman, il est allé très vite aux pages qu’il voulait rectifier, il a vu que je n’ai rien fait. Il s’est mit très en colère.

Nous sommes en 1959, il me donne : " L'ours en peluche. " . A cette époque, il est en pleine névrose. C’est un roman très dur, d’analyse pure. Il me parle beaucoup de sa mort : cela ne me fait pas peur de mourir, ce qui me fait peur, c’est de ne plus être là. Il ne peut pas évacuer
cette pulsion, il me demande de la faire pour lui. J’ai eu beaucoup de mal à écrire ce livre.

Il me confie ensuite un synopsis d’un Maigret. Mais un message de Paris Match me demande de partir le lendemain matin pour Cuba, parce que Fidel Castro venait de faire sa révolution. Je suis partie. A mon retour Simenon était mort.

Comment on écrit un polar ?

Pour bâtir le récit, il faut être le meurtrier. Je vais créer un personnage, un homme ou une femme, je vais lui créer une famille, avec des enfants, des maîtresses. Je vais lui créer une profession, avec des collaborateurs, des amis, des vrais et des faux. Et parmi tous ceux ci, je vais
en choisir un, que je vais tuer. Il faut savoir, que la première chose que l’inspecteur va chercher, c’est la femme. Car derrière chaque meurtre, il y a forcement une femme. Je dois forcement m’entourer de précautions, je dois consulter un psychologue, le médecin légiste. Ensuite
je vais à la P.J. pour assister à des interrogatoires.

C’est quand même une entreprise très solitaire

Simenon est mort comme il l’avait rêvé, il sera incinéré, et ses cendres seront dispersées dans le jardin, pour être mêles à celle de sa fille. 

C’était un 4 septembre 1989, il était 3 heures 30.