Propos sur la motivation et la fragilité des groupes humains

L’homme a dit on l’instinct grégaire. Il a été dit aussi que « l’Homme est un loup pour l’homme ». Les loups chassent pourtant en meute. Eux aussi aiment vivre ensemble. L’être humain, avant même que la notion de société donne un cadre à des règles de vie en commun, cherchait à se protéger d’un environnement hostile, en s’assemblant par groupe.

Notre époque, et depuis quelques décennies, affiche une montée de l’individualisme, encouragé par la compétition pour acquérir la meilleure place dans la société. Cependant, le tissu associatif fait flores pour de multiples raisons, et notamment : besoin d’appartenance, défense de causes nobles, identité collective, corporatisme et hiérarchie parallèle etc. La difficulté des temps suscite des regroupements confortant l’adage selon lequel l’union fait la force.

Tout groupe solide implique une cohésion entre ses membres et une adhésion aux buts et principes fondateurs de cette association. La France est le champion du monde en nombre d’association à but non lucratif ou supposé l’être. Cela veut il dire que nous avons plus que les autres des problèmes existentiels ? Je ne le pense pas, et je pencherais même pour le contraire. Nous vivons dans une relative oasis de liberté et de très rares pays nous égalent. Alors, d’où vient ce besoin de trouver des entités de regroupement ?

Il est établi que c’est dans l’effort et dans la souffrance que les hommes se révèlent et exaltent les plus hautes valeurs humaines. L’occident vit une période de paix, en tout au sein de ses frontières, qu’il n’a jamais connu auparavant. Tout concourre semble t il à ce que cette situation s’établisse durablement. Attention tout de même, le mieux est toujours l’ennemi du bien. Mais c’est un autre sujet.

Mon propos ne concernera que les associations réelles et physiques, excluant toutes celles pour lesquelles le paiement d’une cotisation est nécessaire et suffisant pour délivrer titre d’appartenance. Je passerai également sur toutes celles, et elles sont nombreuses, dont la vocation est de défendre des intérêts particuliers, et qui s’inscrivent dans ce qu’on pourrait appeler le domaine de « l’Avoir » en opposition au domaine de l’Être.

Parmi les autres que je veux évoquer, nous trouvons toutes celles qui œuvrent dans l’humanitaire, le caritatif, qui exercent dans les sphères médicales, dans la protection des faibles et des démunis. Elles représentent le plus grand nombre et sont souvent médiatisées. D’autres, animés par des grands principes d’éthique et de morale, participent à des grandes causes, ou se veulent culturelles ou philosophiques. Ce sont celles du genre auquel nous appartenons, à ceci près qu’elles se constituent en des clubs tel le Rotary, qui sont des associations « privées », dans la mesure où nous formons une famille qui choisit ceux qu’elle veut adopter en son sein. Dans les premières, la seule bonne volonté en légitime l’accès. Pour les seconds, la cooptation se fonde sur des critères objectifs établis, mais aussi sur le libre arbitre des membres qui demeurent par nature subjectifs. Cette pratique est à la fois une force et une faiblesse. Une force parce que le filtre donne une homogénéité au groupe, mais une faiblesse car elle laisse s’échapper probablement des opportunités d’ouverture. Le choix peut paraître « cornélien », mais la sécurité et la sérénité penchent cependant pour le premier terme, bien que son alternative assurerait davantage l’expansion du groupe. Goethe, que j’ai déjà cité à de nombreuses reprises disait : «je préfère une injustice à un désordre.

Alors me direz vous, après de telles précautions et de telles assurances, que peut il nous arriver de fâcheux ? Rien de moins ou de pire qu’ailleurs. Nous sommes un microcosme confronté aux mêmes vicissitudes que les autres groupes. Nous reproduisons les mêmes schémas de la vie sociale. Ils peuvent aller de l’ambition, au pouvoir, à la compétition, à l’intrigue, à la reconnaissance. La « cordonite » ce mot ne figure pas au dictionnaire, et pourtant il mériterait de brûler au bûcher de nos vanités. « Cordonite » vient du mot cordon, tel celui que nous arborons avec une fierté, somme toute légitime, puisque nous avons été élus, et de plus, par nos pairs. Le mot « cordonite » s’applique aussi à toutes variances, insignes ou décorations de toute sortes.

Nombreux sont ceux qui entrent dans des associations pour réaliser ce qu’ils n’ont pu faire dans leur vie personnelle ou professionnelle. Prendre un autre départ sur de nouvelles bases avec un autre horizon humain qui leur portera un autre regard. C’est aussi concourir à une sorte de hiérarchie parallèle leur permettant une seconde chance et une nouvelle image d’eux mêmes. Ils souhaitent aussi donner une autre dimension à leur existence, trouver un équilibre et de nouvelles valeurs. Encore ne suffit il pas d’être admis au sein d’un club, il faut en gravir les échelons. La course au cordon est ouverte. La croix d’honneur de notre enfance s’affiche à notre boutonnière. Porter sa croix n’a pas ici le sens biblique, quoique cette distinction nous confère de nouveaux devoirs que nous avons à assumer en contre partie. Notre croix est une roue dentée, symbole d’entraînement, ce qui est positif, mais en même temps que d’engrenage, qui l’est moins.

Nous entrons pour la plupart dans des associations pour trouver un complément ou un exutoire à la quotidienneté. Plus de guerre, plus de graves souffrances. Il ne nous reste que des causes nobles à épouser. L’angoisse du devenir porte les hommes à chercher des soutiens. Malraux disait que le XXI siècle serait religieux, (ou spirituel) ou ne serait pas. Dans religieux il y a la notion de relier, du latin « religare » Le bonheur, comme le pouvoir du reste, d’une certaine manière rend seul et parfois égoïste. Mais notre instinct ancestral nous pousse à nous retrouver à nous assembler. La religion recule devant l’archéologie. Les docteurs de l’église et les théologiens doivent perpétuellement redéfinir ou réactualiser leur présentation. Rien n’est simple. Pour les moins cultivés ou les plus candides, donc les plus fragiles, le « Da Vinci code » sera une vérité révélée. Le monde est en mouvement et va de plus en plus vite. Nous sommes dans une époque de chaos, spirituel, politique, industriel, familial. Mais c’est dans le chaos que s’expriment les gourous. Attention aux marchands de rêve. Les sectes ont trop largement profité de la crédulité des hommes, et les rêves sont devenus des enfers, dans un enfermement physique et pire encore moral.

Une association, un club privé, est structuré, organisé, lisible dans ses buts, ses objectifs et ses actions. C’est la raison pour laquelle nous trouvons notre compte dans une coopération constructive et amicale. Tous les avantages sont réunis. Nous sommes entre amis, d’un milieu social relativement homogène, nous contribuons à des causes humanitaires, nous nous donnons bonne conscience, nous nous enrichissons de l’expérience professionnelle des uns et des autres, et enfin, nous matérialisons notre désir de nous rendre utile. Nous faisons bonne figure pour la société, nous nous valorisons. Notre miroir nous montre notre satisfaction. Rappelons nous ce que Cocteau disait : « Les miroirs devraient réfléchir davantage, avant de nous renvoyer nos images »

Concernant cette fragilité qui fait l’objet de l’autre aspect de mes propos, une association, un groupe humain est il particulièrement fragile ?
La solidité d’une chaîne, est fonction de la solidité de son maillon le plus faible. C’est un fait établi. Chaque membre doit par conséquent veiller à ce que la chaîne ne se fragilise pas à cause de la fragilité de l’un des siens.
La vie d’un groupe est aussi faite d’équilibre toujours à maintenir. Pour un club Rotary, l’équilibre consiste en une bonne répartition des professions, à garder un age moyen satisfaisant en compensant par un recrutement de jeunes, l’heureuse et nouvelle espérance de vie de nos anciens. L’équilibre consiste aussi à ce que chacun s’investisse équitablement dans les actions menées par le club. L’équilibre consiste encore dans la capacité de chacun à contribuer financièrement et intellectuellement au rayonnement du groupe. Mais au-delà de l’équilibre, il y a aussi l’harmonie et la sérénité qui sont les conditions nécessaires, mais pas forcément suffisantes. L’harmonie est la conséquence de cet équilibre. C’est la raison pour laquelle nous devons ne rien faire qui puisse altérer l’envie de nous retrouver ensemble chaque vendredi sous prétexte, même s’il semble avéré, que chacun n’apporte pas sa contribution équitable à l’ensemble.

Vous savez que je défends particulièrement notre système rotarien de cooptation la plus générale possible. Si demain, les statuts du Rotary se modifiaient, et que celui-ci nous contraignait à un vote à la majorité pour les admissions, c’en serait fini de l’esprit de corps et de famille qui a donné à notre mouvement ses lettres de noblesse, et maintenu en croissance ses effectifs depuis sa création. Une part d’entre nous s’en irait probablement, et tout porte à croire que les meilleurs en feraient partie. Car en effet, quelle harmonie pouvons nous garder au sein de notre famille rotarienne, quand un nombre significatif de nos amis se sont prononcés contre une candidature ? Nous sommes par nature discriminants, c’est la loi du genre. C’est ce qui donne sa valeur au Rotary, sous peine de renier l’élitisme qu’il proclame et inscrit dans ses textes et dans ses principes. Ne sommes nous pas censés ne recruter que les meilleurs dans nos circonscriptions ? Chacun dans son for intérieur, sait que ce n’est pas vraiment le cas, mais nous avons dans la même mesure à mesurer notre poutre avant de monter du doigt la paille du voisin.

La fragilité d’un groupe peut provenir aussi d’un manque de « gouvernance » qui laisserait s’instaurer des sous groupes dans le club. C’est un écueil fréquent. Cela s’est déjà vu dans le passé et nous avons surmonté l’épreuve. Nous ne devons pas abaisser nos exigences pour faire plaisir à un parrain, à plus forte raison si la candidature proposée obéit à des intérêts extérieurs au Rotary.

Enfin, nous ne pouvons pas nous réunir uniquement pour déjeuner, aussi sympathique que puisse être ce moment passé ensemble. Un des rôles du Rotary consiste aussi à enrichir le groupe de son expérience, de son savoir ou de sa culture. Les horizons divers sont une source de profit pour chacun d’entre nous. D’où la nécessité et même le devoir que nous avons à produire des conférences. Point n’est besoin qu’elles soient longues. Nous avons constaté que de courtes interventions suscitent souvent une nombreuse participation. Nous sommes supposés tous avoir un niveau intellectuel qui nous rend capables de traiter un sujet et de nous exprimer sans embarras.

Pour conclure, un rotarien, se doit d’abord adhérer à la philosophie du Rotary, et dans sa continuation, participer aux actions proposées par le club. Il doit se sentir en osmose avec le groupe dans son ensemble et avec chaque membre en particulier. Il est nécessaire aussi de cultiver l’amitié en donnant des prolongements à nos réunions statutaires. Si nous n’avons pas réellement choisi tel ou tel, nous ne l’avons pas rejeté. C’est le prix de cette harmonie, dans le plaisir de partager avec l’autre, de nous aider le cas échéant, bref, de pouvoir dire : nous sommes un corps, une famille, solidaire et unis dans l’idéal de servir. C’est alors qu’un club Rotary est solide, et qu’il s’agit d’un édifice que chacun contribue à élever et à faire rayonner.

Voyez, chers amis, trois pages n’est rien, mais doit suffire à lancer une discussion amicale. Chers amis, vous avez maintenant la parole pour enrichir mon propos. J’y compte bien. Et c’est cela le plus intéressant.



François Lorre