Le vendredi 2 juin 2000
La conférence de ce jour doit ressembler à une belle robe sur une jolie femme, suffisamment longue pour couvrir le sujet et suffisamment courte pour attirer l'attention.
Nous avons souhaité aborder ce sujet pour mieux comprendre les aspirations de chacun dans le grand bouleversement de la société moderne dont nous faisons partie intégrante.
Nous construisons tous, nos vies de façon différente, parfois au singulier, parfois au pluriel mais toujours à la recherche d'un idéal. Cet idéal qui peut se forger à travers nos origines, nos éducations religieuse ou civique devient un fil directeur pour lequel nous avons souvent du mal à parler.
Le mot luxe vient du latin « luxus » origine non négligeable du mot qui veut dire somptuosité excessive, ostentatoire, quelque chose de mauvais goût. Nous voilà déjà avec une évolution si l'on sait que cela veut aussi dire profusion, abondance ne dit-on pas (un luxe de précautions, un luxe de végétation.)
La nécessité vient du latin nécessitas et définit le caractère de ce dont on ne peut se passer, à considérer comme indispensable voir vital.
La Nécessite est une divinité allégorique, fille de la Fortune, elle-même déesse de la Fatalité...
L'idée de luxe est fiée à tout ce qui est d'un grand prix mais dont la nécessité n'est pas absolue: je peux par exemple si Je suis milliardaire m'offrir le luxe d'une Roll Royce mais je pourrais tout aussi bien rouler en deux chevaux sans que ma capacité à me déplacer en automobile en soit atteinte; circuler en Roll n'est pas une nécessité.
Ainsi donc, le sujet soumis à notre réflexion pose le problème de la raison d'être de l'indispensable. Est-ce un luxe théorique, c'est à dire dont on peut par conséquent faire l'économie ? Est-ce au contraire une nécessité fondamentale de l'existence humaine ? A travers les époques, la notion de luxe a évolué. Son appréciation en fonction des régimes, des économies et des technologies s'est modifiée.
Même si 1’industrie du luxe n'a été reconnu comme telle que très récemment, la production et le commerce du luxe existent depuis l'aube des civilisations. Les premiers bijoux, certainement l'une des expressions premières du luxe, datent de plus de 5000 ans avant J.C.
Le luxe représente une approche hétérogène jusqu’au développement de marchés de masse avec la révolution 'industrielle.
Le luxe a joué un rôle important dans les anciennes sociétés et dans leurs activités économiques. Il suffit de citer ici les pyramides, tombeaux des Pharaons ensevelis avec leurs trésors. La quête du luxe a pris aussi un 'immense essor avec la découverte de nouveaux continents, sources de métaux rares, de pierres et de bois précieux, d essences exotiques, qui ont été habilement transformés en parures, en parfums, en vêtements et en mobiliers exceptionnels.
C'est cependant seulement à partir de la Renaissance qu'une distinction assez claire a été faite entre le luxe et l'art, ou plus précisément entre les arts mécaniques relevant du travail des artisans et les beaux-arts, oeuvres des artistes. L'artisan peut faire des objets communs, mais le côté utilitaire de son travail n'est pas en conflit avec son contenu esthétique. L’industrie du luxe est l'héritière de tous ces artisans qui, au cours des siècles, ont développé des savoir-faire originaux pour produire des objets étroitement associent à la beauté. Grâce à l'habileté manuelle et à la recherche d'une esthétique supérieure, il se faisait qu'une armoire passait du statut d'un simple mobilier à celui d'une commode sculptée par Baccio Pontelli (1450-1495) et qu'un récipient d'eau ordinaire était transformé en une potence "Queen's Ware", créée par Josiah Wedgewood (1730- 1795).
A noter que dans les temps anciens, a s'agissait plutôt d'une démarche féminine et qui perdurera sous la forme actuelle de la mode. Le luxe devient plus tard machiste et sera l'apanage des religions et des gouvernements.
La démarche est souvent la même : dès qu'une société s'organise, se hiérarchise et possède le temps et la possibilité financière correspondante, le processus de mise en route des dépenses non nécessaires se déclenche.
Le développement du luxe s'accélère dans les sociétés libérales récentes en Europe et aux États- Unis alors que son développement n'est réservé dans les états en voie de développement qu'aux couches possédantes.
Ce qui était considéré comme un luxe hier peut par son développement de masse ou par l'évolution du mode de vie devenir au quotidien une nécessité.
La question se pose-t-elle ?
Le luxe n'est sûrement pas une nécessité puisque chacun d'entre nous, peut vivre sans superflu, ni ostentation mais alors, le luxe correspond t il bien au même critère pour tous.
Si le luxe est relatif et qu’il correspond à un ensemble coûteux et superfétatoire, à n'est évidement pas une nécessité. Le luxe est relatif, la nécessité entière.
Le luxe n'assure pas le bonheur humain mais la nécessité détruit jusqu'à l'essence même du bonheur.
La Fontaine (1621-1695) écrit au 17 eme.
«Que la Fortune vend ce qu'on croit quelle donne »
Une autre caractéristique du luxe est sa cyclicité, laquelle touche plus fortement en cas de récession.
La clientèle aisée est moins touchée par un ralentissement économique, les décisions d'achat sont néanmoins freinées et reportées.
Le luxe n'étant pas une nécessité, il est l'une des premières dépenses à être affectées.
Il est aussi possible que durant des périodes de plus grande austérité, le luxe apparaisse moins comme le symbole d'une réussite sociale, mais plus comme une insulte à l'endroit de ceux qui sont exposés à de réelles et importantes difficultés.
Souvenons-nous ces dernières années la discrétion qui était de règle concernant les signes extérieurs de richesse.
Il n'est pas inopportun de rappeler ici que, au cours de son histoire, le luxe a été alternativement condamne, assimilé aux pires des turpitudes, puis exalté comme le fruit des capacités créatrices d'une nation !
Durant les périodes de moindre croissance, les comportements changent et la reconnaissance de valeurs plus traditionnelles se fait jour: redécouverte des plaisirs simples, le déjeuner sur l'herbe, les produits naturels, la solidarité et l'amitié.
A plusieurs reprises, le législateur s'est cru obligé de définir les frontières entre ce qui pouvait être considère comme un produit ou une consommation de luxe.
Dans la Rome antique, on prit des lois somptuaires qui, comme leur nom ne l'indique pas, avaient pour objet de restreindre le luxe.
Les taxes de luxe. loi du 31 décembre 1917, portant sur les impositions de certaines marchandises, sur la consommation de boissons et d'aliments particuliers ainsi que sur certains établissements dits de luxe.
Ces impositions témoignent de la non nécessité du luxe au travers de ces objets, consommations ou établissements.
A noter qu'un luxe de précautions peut-être une nécessité. Mais l'objet de luxe qui correspond à des goûts recherchés ou coûteux et non à des besoins nécessaires pourrait être l'antithèse de la nécessité.
Diderot (1713-1784)
« Le luxe ruine le riche, et redouble la misère des pauvres »
Mais comment imaginer un instant vivre son existence sans penser a une parcelle de différence, d'amélioration du quotidien à un moment de bonheur pris à la vie et qui parfois peut ne rien représenter pour son voisin. Dans ce cas le luxe est certainement une nécessité.
Le luxe n'est-il pas cette notion relative propre à tous qui est parfois d'accéder à l'inaccessible en se transposant dans un monde qui n'est pas le sien.
Dans ce cas, a symbolise le rêve et la volonté de l'atteindre, se traduit différemment en fonction de sa condition et de ses aspirations.
L'engouement d'un grand nombre pour les tabloïds, notamment concernant les fastes des familles royales ou des stars du cinéma correspond à une nécessité absolue de se projeter dans un univers de luxe. Ce comportement permet de vivre cette vie rêvée par procuration.
Pour les premiers, cette vie est la représentation de leur statut Pour les seconds, c'est la démonstration que leur rêve peut être vécu.
Ce luxe est accepté implicitement par le plus grand nombre comme une nécessité.
Pour ne prendre que l'exemple de la culture, elle est souvent un luxe pour une grande partie de la population alors que tous s'accordent à la considérer comme une nécessité. C'est pour cela, qu'à grands frais, l'état promeut toutes les formes de cultures, par l'intermédiaire des musées, des bibliothèques, des opéras, des théâtres,...
Si l'on décidait brutalement que le luxe n'est pas une nécessité, ne verrait-on pas l'état désinvestir dans ce domaine et nos concitoyens se détourner plus encore de la culture ?
Le luxe répond à des besoins fonctionnels de l'individu, mais il satisfait en priorité des émotions et des rêves, par des objets qui ont des qualités esthétiques, hédonistes et symboliques.
Les produits de luxe se situent au-delà de leur usage purement fonctionnel; ils projettent des styles de vie des expressions diverses de la beauté et de l'harmonie, lancent les modes, qui plus tard s'étendront aux productions de masse.
Suivant les époques et les courants, les sensibilités sont différentes. Voltaire écrit en 1736 dans la satire en vers intitulé « Le Mondain », et où sont prônés le luxe et les élégances dont s'entichait la société de son temps.
« Le superflu, chose très nécessaire »
La Fontaine disait:
« Il n’y a d’indispensable que les choses inutiles »
Nous mettons l'accent sur le caractère d'authenticité, d'originalité, de rareté relative, d'exécution raffinée, de somptuosité et de fiabilité de l'objet, pour ne citer que quelques propriétés parmi beaucoup d'autres, dont l'une au moins serait le prix.
Le luxe, est une manière de vivre caractérisée par de grandes dépenses et une abondance de biens superflus.
Nous parlons beaucoup en terme d'images dans notre société et l'objet rare n'est plus toujours la pierre rare, belle et unique dite « précieuse » mais l'image que l'on se donne ou que l'on souhaite donner. La jeunesse s'identifie à travers la musique ou les marques de vêtements pour mieux correspondre à une société d'images et de médias. Les marques de vêtements excessivement chères
Le luxe de nos jours n'est-il pas de savoir vivre l'instant présent, prendre le temps, savoir dire non et vivre de ses passions, choisir le moment. Un grand nombre de choses que nous considérons comme nécessaires ne sont finalement que du luxe.
Il y a les produits de première nécessité. A quand le luxe de première nécessité ?Il faut être très prudent dans sa réponse à la question de savoir si le luxe est une nécessité.
La nécessité fait parfois la loi, c'est le cas dans les sociétés primitives qu'elles soient antédiluviennes ou actuelles. Pendant toute l'évolution de l'humanité la nécessité de survivre aux conflits, aux éléments naturels défavorables est permanente. Le simple aliment est une nécessite pour la jeune mère qui veut sauver de la famine son enfant. Le mot survivre prend une autre dimension avec la nécessité de se nourrir manger, de procréer, d'être protégé, d'avoir chaud.
Si le riz n'est pas un luxe en Somalie, le caviar à Paris n'est pas une nécessité. Dans les deux cas les denrées sont rares mais l'une d'entre elle correspond à une nécessité absolue
Si l'on répond oui, on risque de voir certaines personnes réclamer le remboursement par la Sécurité Sociale de toute dépense de luxe.
Ne risquons-nous pas non plus de voir des petits malfrats plaider l'acquittement en soutenant qu'ils étaient dans l'état de nécessité quand ils ont brisé la vitrine d'un bijoutier de la Place Vendôme pour s'emparer de tous les bijoux qui y étaient présentés ?
N'a-t-on pas à redouter que l'État, considérant que le luxe est une nécessité, ne se lance dans une grande politique de travaux nationaux pour la production d'objets de luxe ?
Serait-on bien inspiré si les consommateurs de luxe se faisaient désormais appeler des nécessiteux ?
Que dire des files d'attentes que l'on verrait bientôt s'allonger sur les boulevards devant un centre de distribution non plus de soupe mais de luxe populaire ?
La réponse négative à la question posée n'est pas plus facile.
Les synonymes sont nombreux. faste, magnificence, pompe, apparat, ostentation, vie mondaine, somptuosité, richesse, opulence, vie princière, grand train, grande vie, vie de pacha, vie de seigneur, profusion, multiplicité, abondance.
On aime le luxe, on fait étalage du luxe, on vit dans le luxe, on a des goûts de luxe, on étale son luxe. Quelquefois, on présente un luxe de détail.
Si l'on met les produits de luxe dans les produits de première nécessité, on va nécessairement avoir une augmentation des salaires.
En effet, le SMIC est assis sur une liste de produits considérés comme étant nécessaires.
C'est dire que les salaires vont augmenter et que les produits de luxe vont devenir encore plus chers.
Devenant encore plus chers, as vont augmenter corrélativement les salaires, qui eux-mêmes, à leurs tours, vont augmenter le prix des produits de luxe, qui eux-mêmes...
On a donc à faire à une spirale infernale et cette spirale infernale doit absolument être évitée.
Et bien puisqu’il faut conclure, disons-le : oui le luxe est une nécessité. Il correspond à la part de rêve et d'illusion dont nous avons tous besoin. Il est souvent loin des contingences matérielles, ostentatoires ou superflues; il est tout simplement une composante de l'homme.
Comment imaginer un instant, ne pas approcher par la pensée la réalisation des rêves les plus fous si ceux-ci se matérialisaient on parierait de luxe. Mais sans cet imaginaire, de quoi serait fait le quotidien : d'une monotonie sans espoir ?
Le luxe peut ne pas se consommer mais tout simplement s'approcher ou se vivre dans l'espace temps.
Le temps notre bien le plus précieux.
"Prendre du temps sans le perdre, donner du temps tout en le gagnant, c'est un idéal ; lutter avec ou contre le temps pour le dominer ou l'habiter, c'est un combat. Ce combat que mènent ou subissent beaucoup d'occidentaux paraît typiquement moderne. Mais à n'est pas entièrement nouveau. Il est millénaire et il touche aux fibres centrales de l'existence, au sens de la vie et de la mort.
Donner du temps pour une action, pourrait paraître un luxe pour celui qui ne s'engage jamais mais certainement une nécessite pour celui qui reçoit le bénéfice de cette action.
Dans un moment où la solidarité des démunis doit jouer entre eux, un règlement, dans tous les sens du mot, une fin de non recevoir, aucune adaptation, un trait au bas de la note énergie une impasse autour de chacun.
L'Homme est capable de se dépasser, de dépasser son quotidien, de dépasser son imaginaire, dans la nécessité ou dans un choix rendu nécessaire. L'Homme est capable de permanence, d'assiduité dans une activité librement choisie. Est-ce un luxe de choisir son activité et son travail et son rythme de travail ?
Les caractéristiques de ces activités: un libre choix dicté par un besoin et une aptitude, et une débauche d'énergie non compte pour arriver au résultat escompté. Le bénéfice: une satisfaction personnelle et parfois un gain d'argent en non-dépense et une expérience accrue. Quelles sont les conditions de cet enthousiasme: être libéré des soucis et du temps.
Subir sa vie par nécessité ou la vivre et la partager est-ce une notion de luxe
S'étirer dans ses draps tard dans la matinée quand bon vous semble est certainement un luxe.
Le luxe étant aussi ancien que les sociétés humaines, sa disparition est des plus improbable, tant les désirs et les rêves des hommes et des femmes, pour plus de beauté, de magie et peut-être d'illusion, sont sans doute indéracinables.
La Bruyère (1645-1696) disait. « Après l'esprit de discernement, ce que y a au monde de plus rare, ce sont les diamants et les perles ».
Faut-il en conclure que l'esprit de discernement est un luxe ?
Est-il bien vrai que les diamants et les perles passent après l'esprit de discernement ?