le 19 janvier 2001

 

Un récent voyage à Istanbul m'a fait découvrir ou redécouvrir un personnage intéressant, et je vais essayer de vous faire partager cet intérêt.

Il est évident que l'on ne peut prétendre de résumer en 20 minutes la vie d'un homme. Cela sera donc plutôt quelques éclairages sur sa vie et son temps. Celui dont je vous parlerais c'est Soliman le Magnifique, le plus glorieux des sultans ottomans.

Essayons de nous placer 5 siècles en arrière.

Une longue crise a frappé l'Europe aux 14eme et 15eme siècle; le monde féodal est bien mort, celui des Etats s'ouvre au milieu de mutations économiques et sociales sans précédent depuis la fin de l'Empire Romain. C'est presque une nouvelle civilisation qui se forme, une renaissance.

Les guerres, les révoltes paysannes mais aussi la peste noire ont conduit à une situation de désordre, de décadence et en plus un danger se profile en Europe Centrale : les Ottomans. Mais finalement l'Europe se ressaisit, l'on constate un accroissement rapide de la population, le développement de l'agriculture, l'Exploitation de mines, le début d 'une économie monétaire, l'usage du crédit.

L'art et la littérature deviennent majeurs. Dans le domaine de la religion apparaissent Luther et Calvin, le protestantisme et la reforme.

Les états au début du 16eme:siècle sont dirigés Par des personnalités puissantes. Ce sont des chefs de guerre, des administrateurs ambitieux et rarement encombrés de scrupules :

bullet1509 Henri VIII en Angleterre, 1515 François 1er en France.
bullet1516 Charles Quint en Espagne et 152a Soliman en Turquie. Ces 4 hommes domineront l'Europe pendant un demi-siècle.

Pendant dix siècles les Turcs originaires de l'Asie Centrale avaient guerroyé dans les steppes de la Haute-Asie. Lentement ils se sont dirigés vers l'ouest. Vers 1300 Osman bat les armées de l'empereur de Byzance : un état turc ottoman commence à naître.

Murad 1er en 1362 commence l'occupation des Balkans, sa tache est facilitée par les conditions économiques et sociales effroyables. En 1389 Murad écrase dans le Kosovo (=Champ de merles) l'armée serbe. Finalement en 1453 Constantinople tombe aux mains des ottomans sous Mehmed II. La Sainte Sophie, magnifique basilique construite par l'empereur byzantin Justinien vers 532 devient mosquée. Soliman est l'arrière-petit-fils de Mehmed II le Conquérant est le fils de Selim le Cruel. Il est né en 1494, 2 ans après la découverte de l'Amérique par Colomb. Dans ses veines coule du sang de Gengis Khan. Sa mère était la fille d'un Khan des Tartares de Crimée. Son enfance : du classique. Jusqu'à 7 ans on laissait les princes aux seuls soins de leur mère. A 7 ans c'est Selim, son père (qui n'était pas un tendre) qui le prend en main. On lui enseigne le Coran, la lecture, l'écriture, l'arithmétique et la musique; les exercices du corps prennent une large place dans la vie du garçon. Vers 11 ans il quitte sa mère et le quartier des femmes, il aura une "Maison", des serviteurs, un budget. A 15 ans suivant l'habitude. Il devient gouverneur de province et acquiert ainsi une expérience de gouvernement et de l'administration. Lorsque son père décédé subitement, il devient en 1520 le nouveau sultan.

Cela peut paraître une voie toute tracée, en fait ce n'était -pas très simple, mais je n'entrerais pas dans les détails de la loi du fratricide qui régnait chez les Ottomans et qui avait conduit à l'élimination successive des éventuels prétendants de la famille par son père Selim.

Nous sommes donc en 1520. La Turquie est une nation forte. Certains ont dit que l'empire ottoman était une armée avant d'être un état : armée disciplinée, équipée d'armes modernes pour l'époque (artillerie) et des soldats obéissants et courageux. Dans cette armée y a les janissaires, la troupe d'élite (12.000 hommes sous Soliman) qui sont essentiellement des esclaves d'origine chrétienne mais islamisés. L'administration des ottomans, remarquablement organisée et dont l'élite parvient aux honneurs et la fortune, formera ces esclaves dévoués au sultan jusqu là la mort.

En 1520 l'empire ottoman est non seulement fort, il est aussi riche et a une position inégalée dans le monde de l'islam. Tous les pays au sud du Danube sont sous sa domination. En Orient ils ont écrase les Mamelouks et rattaché l'Egypte et les lieux saints (La Mecque et Médine), le Kurdistan est annexé, l'armée de l'Iran battue.

Soliman a 25 ans, il est le dixième sultan de la dynastie. Dès le départ il montre qu'il veut mener d'une main ferme mais juste. Il s'assure la fidélité des janissaires par une forte dotation en argent. Solidement installé sur son trône (après quand même la suppression de quelques rebellions en Syrie et en Egypte) Soliman commence sa politique vers l'Ouest, ou se disputent François 1er et Charles Quint la Couronne du Saint Empire.

En quelques années il conduit son armée à Belgrade, Budapest et aux portes de Vienne (1529).

Parallèlement il devient le maître de la méditerranée orientale (ou il élimine les Vénitiens et les Chevaliers de Saint Jean installés à Rhodes)

Une des grandes qualités de Soliman était de savoir s'entourer de collaborateurs de haut niveau. Parmi eux il y a le Grec Ibrahim, chrétien islamisé, qu'il nomma grand vizir et qui exerça à moins de 30 ans les plus hautes fonctions de l'empire, en plus de devenir l'époux de la sœur du sultan.

Deux personnes sont ses intimes, ce grand Vizir Ibrahim et Roxelane, la sultane. Elle est probablement d'origine polonaise, enlevé par les Tartares. Son surnom de Roxelane veut dire " la russe ". Les Turcs l'appellent " Hürem ", " la joyeuse ". Elle donne 4 fils à Soliman après avoir élimine Gülbahar, la première sultane. Elle exercera une influence non négligeable sur le sultan qui durera jusqu'à sa mort.

Soliman est un homme pieux, libéral envers les non-musulmans, mais très sévère envers les chiites, qu'il considère comme des hérétiques. Les turcs l'appelant non pas le Magnifique, mais " Le Législateur ". Sa devise est : Dieu a donné au peuple un maître, le maître a un devoir - faire régner la justice. Il organise parfaitement cette justice à travers un système de juges uniques, le Kadi, système d'une grande célérité et honnêteté.

Malgré l'échec du siège devant Vienne, l'empire ottoman est à son apogée, le sultan en pleine gloire. C'est un souverain né, d'une majesté distante et ses multiples victoires l'ont confirmé dans l'idée qu'il est le 1er monarque de son temps.

Ses finances prospèrent et lui permettent de dépenser à pleines mains, de s'entourer des objets les plus précieux. Il inaugure une politique de construction qui transformera Constantinople et laissera son empreinte dans toutes les grandes villes de l'empire.

Son règne est marqué par une extraordinaire floraison de monuments grandioses réalisés en grande partie par son architecte de cour, le génial Sinan (1489-1588), encore un Grec né chrétien, mais islamisé. Il a construit 335 édifices, des grandes mosquées, madrasa, mausolées, caravansérails, hôpitaux, aqueducs etc. C'est Sinan qui crée les mosquées du sultan à Istanbul.

La 1ère c'est la Shezadé (mosquée des Princes) construite en 1543. Sinan est un concepteur génial et un technicien hors pair. Avec la Shezadé il donne toute la mesure de son talent, elle est née de la confrontation de l'architecture ottomane et du modèle de la Sainte Sophie construite 1000 ans plus tôt.

Le 2eme exemple est la Suleymania, construite seulement quelques années plus tard (vers 1550). Ici Sinan s'est inspiré plus de la Sainte Sophie que pour la Shezadé, parce que Soliman veut souligner qu'il se place dans une tradition impériale et que son empire est comparable a bien des égards à celui de Justinien. Et il veut montrer par la même que l'autre empereur Charles Quint ne dispose pas de la même légitimité que lui.

Istanbul est à cette époque la plus grande ville du monde, plus de 700 000 habitants. C'est une capitale prestigieuse, siège du Sérail et des plus sombres intrigues.

Quelques mots sur les relations entre Soliman et François ler

Le Roi de France a toujours un souci majeur, empêcher les Habsbourg de l'attaquer. Un puissant adversaire devait donc être opposé à ces Habsbourg à l'Est.

Je ne puis nier que je désire vivement voir le Turc tout puissant et prêt à la guerre, non pas pour lui, car c'est un infidèle et nous autre sommes des chrétiens, mais pour affaiblir la puissance de l'empereur Le sultan voit les choses de la même façon. On parle de religion mais on ne s'en soucie guerre. L'alliance du sultan avec François 1er est donc clans la nature des choses. Mais François ler ne va jamais au bout de son raisonnement, les reproches de la chrétienté sont forts.

Soliman continue sa politique d'expansion à l'ouest contre les Habsbourg, mais il se bat aussi à l'est contre le Shah d'Iran, occupe la Mésopotamie et Bagdad. En s'y installant, il de-vient le successeur légitime des Califs.

Le combat contre le Habsbourg se passe sur la terre, mais aussi sur et autour de la Méditerranée. Soliman crée une flotte importante qui est dirigé par un corsaire grec devenu son 1er amiral, Barberousse. En face Charles Quint a aussi un remarquable stratège des combats de la mer, Andréa Doria, un génois. Venise est chassé de la mer Egée, les Ottomans sont les maîtres de la méditerranée orientale. Plus tard, toutefois, ils échoueront devant Malte en 1565, Malte défendu par les Chevaliers de Saint Jean et Charles Quint. Pendant ses périodes de guerre il y a des traités de paix, des coalitions, des alliances, que chacun utilisera au mieux de ses intérêts.

Plusieurs drames ponctuent la vie du sultan :

bulletL'élimination en 1536 de son grand vizir Ibrahim, qui avait été presque comme un frère, mais qui commençait à se prendre pour le sultan lui-même et qui ne s'entendait pas avec Roxelane. Une nuit, ceux que l'on a appelé les muets du Sérail feront leur travail à Topkapi, et lui passeront le lacet autour du cou.
bulletEn 1550, Soliman a 56 ans, vivent encore 4 fils. Mustapha (de Gülbahar) et 3 fils de Roxelane. Mustapha est de loin le plus apte à prendre la succession, mais Roxelane sait qu'il la mettra au placard, s'il devenait sultan, et il éliminerait les fils de Roxelane, suivant la loi du fratricide. C'est donc elle qui se charge de le faire éliminer.

Soliman continue toute sa vie à organiser des expéditions.

Il y aura l'échec de Malte en 1565 et finalement en 1566 Soliman meurt en Hongrie lors du siège de la ville de Szeged. Il a régna sur l'empire ottoman pendant 46 ans, a% la fin c'était un vieillard qui ne peut plus montera cheval. Pendant plus de 45 jours on tient secret cette mort Dour organiser la succession. Ce sera Selim, le seul fils restant. Et qui régnera sous le nom de Selim II.

Herbert Siegel, le 19 janvier 2001